Forçage tourbillonnaire résultant de l’interaction aérodynamique entre deux profils. Mesures, simulations et contrôle

2017

Directeurs de thèse: 

Eric Serre  ( AMU M2P2 UMR7340 )  &

Thierry Faure  ( Ecole de l’Air, CréA )


Financement déjà assuré pour trois ans

1. Problématique générale


L’amélioration de la sécurité aérienne dans le cas de conditions critiques de vol est une préoccupation constante, aussi bien pour les vols commerciaux (accident du vol AF447 Rio-Paris en 2009) que pour les vols d’essais dans les phases de qualification des aéronefs. Plus particulièrement, ce travail est lié à l’étude du décrochage profond, qui est un cas particulier de décrochage, où l'empennage horizontal de l’aéronef, dont la fonction est la commande à piquer, est entièrement situé dans le sillage décollé de la voilure principale. L’empennage se retrouve alors dans une zone de très faible vitesse et perd toute son efficacité, ce qui se traduit par une position d’équilibre stable à forte incidence pour l’aéronef, dont il est impossible de sortir par une simple action sur la commande de tangage. Il est à noter que ces phénomènes sont aussi pertinents à des nombres de Reynolds plus modérés (104 à 105), avec plusieurs applications allant des micro-drones (MAV) aux drones (UAV) et aux aéronefs évoluant à basse vitesse et haute altitude (HALE). La prédiction de ce phénomène et l’élaboration d’une procédure de récupération seraient des contributions significatives dans la maîtrise des risques.

Cette problématique est complexe, et met en jeu différents phénomènes aérodynamiques potentiellement tridimensionnels et instationnaire liés à l’interaction entre les deux ailes. Des implications en terme de mécanique du vol et de centrage de l’appareil sont aussi concernées. Il existe très peu de résultat dans la littérature, beaucoup de travaux étant considérés comme confidentiels par les industriels. Les principaux travaux expérimentaux ont été réalisés par la NASA dans les années 60 (Taylor & Ray 1965a, 1965b par exemple), puis un peu plus tard lors de la conception des premiers Airbus (Poisson-Quinton et al. 1967). Ces études montrent pour l’essentiel que ce phénomène peut se caractériser à partir de deux paramètres locaux, que sont la déflexion de l’écoulement sur l’aile principale et la chute de pression dynamique dans son sillage. En ce qui concerne les modèles de mécanique du vol (Goman et al. 1997 ; Goman & Khramtsovsky 1997, 1998) ils paraissent insatisfaisants car ils ne permettent pas de prendre en compte les paramètres longitudinaux, et conservent une approche bidimensionnelle du problème.

Ce qui est clair est que la perte d’efficacité de la gouverne est liée au masquage de celle-ci par l’aile principale à forte incidence. D’où l’intérêt, dans un cas plus académique, à s’intéresser à l’interaction entre deux profils, en particulier dans le cas où le profil amont est décollé conduisant à l’émission de tourbillons. Peu de résultats existent dans la littérature sur cette configuration. Un résultat avéré est l’augmentation du coefficient de portance maximum et de l’angle de décrochage du profil aval. L’autre aspect concerne l’étude de l’interaction tourbillon profil. Le passage d’un tourbillon se traduit par une modulation des coefficients aérodynamiques fortement dépendante de la trajectoire du tourbillon. Tous ce travaux ont été repris dans la thèse du Capitaine Laurent Hétru financée par l’Armée de l’Air (Hétru 2015). Le Capitaine Hétru a montré à partir d’une analyse statistique du champ de vitesse 2D que les tourbillons émis par le profil amont viennent forcer l’écoulement sur le profil aval (gouverne en tangage), ce qui se traduit, selon les paramètres, par un gain ou une perte de portance de ce profil aval (Faure et al., 2015, Hétru et al., 2014, Hétru et al., 2013). 

L’objectif général de cette thèse est lié à la compréhension et à la caractérisation des mécanismes aérodynamiques associés à l’interaction entre deux profils d’aile à forte incidence avec à la clé la mise en œuvre de moyens de contrôle ainsi que d’une procédure d’identification liée au décrochage profond.

2. Programme de la thèse


Le point de départ de cette thèse est la thèse du Capitaine Laurent Hétru soutenue en 2015. La problématique du décrochage profond sera étudiée dans une configuration aéronautique de référence constituée de deux profils en interaction aérodynamique. Les questions ouvertes que nous souhaitons traiter sont :
-     L’étude des propriétés dynamiques des structures tourbillonnaires associées aux mécanismes d’instabilité résultant de l’interaction entre deux profils. Eventuellement nous considérerons des effets de couplage fluide/structure, et par conséquent une évolution dynamique de l’incidence sous l’effet de l’écoulement. 
-      Mise en évidence d’effets tridimensionnels liés à des modes d’instabilités transverses en régime turbulent et à des effets géométriques dus à la présence du fuselage de l’aéronef.
-    Mise en œuvre de moyens de contrôle ainsi que d’une procédure d’identification liée au décrochage profond.

Ce travail sera réalisé dans le cadre d’une approche couplée expérience/simulation afin de couvrir la plus large gamme de paramètre possible.

L’étude expérimentale sera réalisée dans la soufflerie de l’École de l’Air à Salon de Provence. Elle permettra de caractériser les écoulements dans une gamme de nombres de Reynolds correspondant aux applications MAV, UAV ou HALE (Re=104 à 105). On s’attachera à caractériser l’influence du forçage sur l’écoulement en fonction des paramètres comme la distance entre les profils, l’angle d’incidence, et le calage du profil aval. La variation des efforts et du moment de tangage sur ce profil sera mesurée. La mise en place d’un système d’acquisition résolu en temps permettra l’étude du comportement dynamique du système autour du point d’équilibre stable du décrochage profond. Le caractère tridimensionnel du phénomène sera étudié à travers l’implémentation dans la soufflerie d’une aile en flèche et d’une gouverne en tangage d’envergure limitée.

Le travail de modélisation numérique associée sera réalisé au moyen d’une chaine de modèles, depuis les modèles « haute fidélité » basés sur la résolution des équations complètes du mouvement jusqu’aux modèles « hautes performances » (modélisation potentielle et modèle de vol longitudinal). Le laboratoire M2P2 à Aix-Marseille Université possède une expertise reconnue en modélisation numérique, et développe des outils de simulation basés sur des méthodes numériques avancées pour des nombres de Reynolds pertinents pour l’application. Dans le cadre de ce travail, nous bénéficierons du solveur OpenFOAM dans lequel nous venons d’intégrer une méthode de frontières immergées performante (Pinelli et al. 2010). Ce nouveau solveur vérifié et validé (Constant et al. 2017) est aujourd’hui étendu à la prise en compte de fonctions de parois, dans le contexte basé sur des modèles de type « Delayed Detached Eddy Simulations », pour la simulation d’écoulements turbulents autour d’obstacles fixes ou en mouvement. Les résultats numériques seront tout d’abord validés expérimentalement à partir des mesures PIV dans la gamme de nombres de Reynolds (Re=104 à 105) accessible par la soufflerie. Puis, bénéficiant d’un algorithme parallélisé permettant d’atteindre des résolutions élevées, nous nous intéresserons à des régimes d’écoulement correspondant à des nombres de Reynolds plus élevés. Grâce à la méthode de frontières immergées, ce solveur permettra aussi d’envisager des aspects liés à l’interaction fluide/structure permettant de relier l’incidence des profils au forçage de l’écoulement. Un modèle d’ordre réduit d’écoulement décollé, basé sur une modélisation potentielle, sera aussi développé pour caractériser les effets bidimensionnels du forçage aérodynamique entre les profils (Ramesh et al., 2014). Un dernier aspect du travail s’attachera à l’évolution d’un modèle longitudinal de mécanique du vol (Hétru et al., 2013). À défaut d’élaborer une procédure de rétablissement à partir d’un décrochage profond établi, l’objectif sera d’identifier les paramètres précurseurs de l’apparition du phénomène ou de proposer des moyens de contrôle, par des modifications géométriques de l’aile, permettant de supprimer ou de diminuer ce phénomène. Ce modèle de mécanique du vol sera élaboré à partir des essais en soufflerie et des simulations numériques sur une large gamme de nombres de Reynolds. Son adaptation à des conditions de vol réel d’un avion sera réalisée, avec l’objectif ultime de définir une stratégie d’avertissement de l’apparition du phénomène du décrochage profond.

Contact: eric.serre(at)univ-amu.fr